Soeur Anne Rouquet - Soeur de la Bonne Nouvelle :
Voilà, ma chère Suzanne, tu as fait le grand saut, que tu attendais depuis longtemps. Tu es allée rejoindre Jésus, ton Bien-Aimé. Quelle joie pour vous deux ! J’espère que Jésus t’a accordé la danse dont tu rêvais avec lui !
A l’âge de 14 ans, tu recevais le premier appel de Jésus qui te demandait : “Veux-tu te laisser aimer par Moi ?“ Tu as répondu ‘oui’, avec une générosité et une joie immenses. Toute ta vie, tu as cherché à mettre en œuvre ce oui ; tu Lui as donné ton amour sans retour et Jésus t’a rapprochée de Lui peu à peu à travers différentes purifications, épreuves et souffrances… Tu t’es laissée aimer par Lui toujours plus et Jésus a pris de plus en plus de place en toi… Combien de fois j’ai rendu grâce en voyant comment Il te transformait, t’apaisait, te rendait douce et aimante… Ces 2 ou 3 dernières années, nous te sentions totalement abandonnée entre Ses mains ; tu étais prête à Le rejoindre quand Il voudrait.
Alors que tu étais religieuse de l’Assomption, Jésus t’a amenée à Son Père. Il t’a donné le nom d’“adoratrice du Père“. Tu as alors approfondi ce que pouvait signifier cette adoration du Père : unir indissolublement la prière à l’accomplissement de la volonté du Père. Elle devint ta spiritualité personnelle, celle que tu nous as transmise et qui est la base de notre Règle de Sœurs de la Bonne Nouvelle. J’avais été très touchée récemment par ton cri du cœur un jour où on t’interrogeait sur ce qu’est l’adoration du Père. Tu as dit spontanément : “L’adoration du Père, c’est suivre Jésus qui est le premier adorateur et qui a toujours fait la Volonté du Père. C’est une Communion d’amour !“
En 1977, après ta maladie du cœur où tu as failli déjà mourir et qui t’a obligée à abandonner l’Afrique, tu as rencontré les plus pauvres, ceux du Quart Monde, accompagnés par le mouvement ATD Quart Monde à Orléans et ce fut “le coup de cœur“, comme tu aimais le dire. Tu as reconnu en eux les préférés de Dieu, les plus pauvres et les plus exclus à qui le Père veut manifester son Amour, sa Tendresse et sa Volonté de justice envers eux. Tes supérieures t’ont permis de t’engager dans le Mouvement ATD en tant que volontaire, religieuse et médecin à Orléans et tu t’es laissé former par la vision prophétique du Père Joseph Wrésinski pour son peuple du Quart Monde.
C’est là qu’un jour, M. Bouquet, père de famille du Quart-Monde, t’a interpellée : “C’est bien ma sœur, de parler de la santé, c’est intéressant, mais est-ce qu’on ne pourrait pas parler aussi de Dieu ?" Alors, tu as créé avec d’autres un groupe de Chrétiens du Quart Monde à Orléans. Et tu as été émerveillée avec eux en constatant combien le très pauvre est de plain pied avec l’Evangile.
Mais Dieu avait encore d’autres vues sur toi ! A travers ces engagements, Il te préparait à répondre à un besoin de son Eglise : fonder une nouvelle congrégation où les sœurs soient indissolublement “Adoration du Père et Bonne Nouvelle pour les pauvres“, comme nous le disons dans la formule de nos vœux.
C’est à ce moment-là que nous nous sommes rencontrées, toi et moi, avec ce même appel dans le cœur, même si ce fut par des chemins bien différents. Avec l’accord de ton évêque, du Père Joseph et de tes supérieures de l’Assomption, mais aussi après des temps difficiles de mise à l’épreuve, nous nous sommes installées à Toulouse en Février 1986.
Notre mission a pris de plus en plus d’ampleur, à travers d’abord la découverte des plus pauvres dans cette ville, leur rassemblement sur le plan local et entre différentes villes en collaboration avec la communauté du Sappel, la rencontre des chrétiens de différents milieux, la fondation aux Philippines…
Puis ces dernières années, avec l’événement de Diaconia 2013, tu as pris à cœur de donner une dimension plus large à la parole des pauvres au niveau national. Avec beaucoup d’autres, notamment le Réseau St Laurent, tu as travaillé à rendre de plus en plus réelle la place privilégiée des pauvres dans l’Eglise. Tu étais passionnée aussi pour interpeller les théologiens et les amener à inclure la pensée et la foi des plus pauvres dans leurs recherches.
Dans tout cela, enracinée dans une fidélité indéfectible à la prière et à l’Eucharistie, tu as donné le meilleur de toi-même. Tu t’es oubliée continuellement jusqu’à l’usure, (entre autres en faisant de nombreux voyages à Paris malgré tes problèmes de santé) pour que les pauvres soient reconnus à part entière.
Maintenant, une nouvelle étape s’ouvre… Ta mission d’initiatrice prend une autre forme. Nous comptons sur toi pour nous soutenir de là-haut, nous aider à rester fidèles à notre vocation, et aussi pour intercéder auprès du Père pour qu’il “envoie des ouvrières à sa moisson“. Ces derniers mois, tu disais souvent : “Quand je partirai, vous aurez des vocations“.
“La prière du juste agit avec beaucoup de puissance“, dit St Paul. Oui, nous croyons à la force de l’intercession. Déjà nous la ressentions de ton vivant depuis les Philippines… Prie pour nous Suzanne ; prie pour moi qui dois reprendre la responsabilité ; prie pour nous, ta communauté ; prie pour nous tous ici rassemblés autour de toi.
Au nom de toute la communauté, je te dis un grand merci, Suzanne. Nous nous réjouissons de te savoir enfin dans la valse trinitaire, sur le cœur du Père, dans les bras de Jésus et la joie de l’Esprit Saint.
Jean-Claude Caillaux - Ancien volontaire d'ATD Quart Monde et animateur de Place et Paroles des pauvres pour Diaconia :
Je connais Suzanne depuis 1982, mais c’est surtout à partir de 2010 que j’ai appris à la mieux connaître.
Elle était dans le groupe Place et parole des pauvres, dans le cadre de Diaconia 2013. Elle y a participé depuis le début.
Passionnée, entière.
Sachant ce qu’elle voulait.
Et parfois aussi, comme vers la fin, très soucieuse, très interrogative, au sujet de la situation des jeunes, et même des enfants. Elle se plaignait de ne pas comprendre. Et elle percevait là un appel nouveau, une exigence à laquelle l’Eglise se devait de répondre.
Attachée à la personne de Jésus pauvre, elle souffrait des réticences de beaucoup dans l’Eglise. Elle avait du mal à comprendre (et c’est peu dire !) comment on pouvait lire l’Evangile sans se rendre compte qu’il était un appel qu’on ne peut récuser à être proche des petits et des laissés-pour-compte.
Comment l’Eglise ne pouvait-elle autrement que totalement vouée aux plus pauvres, et à partir d’eux à tous sans exception !
J’ai retrouvé quelques phrases de Suzanne dans des décryptages du groupe Place et parole des pauvres.
Voici ce qu’elle disait un jour :
« Si je suis chrétienne, je dois faire et vivre comme Jésus, c'est-à-dire que les personnes que je fréquente, ça doit être des pauvres, des gens exclus, sinon qu'est-ce-que ça veut dire être chrétien ?
Tous les dimanches, les chrétiens entendent l'Evangile, mais je me demande comment on l'interprète : on réduit toujours à son propre milieu ! Je ne sais pas si je suis tordue, mais pour moi, le message, c'est que Jésus, il a été avec les pauvres, il n'était pas autrement.... Je ne suis pas obligée de le suivre, mais si je le suis, il faut que je sois logique. »
Et encore un autre jour : « C'est mon idée fixe, mais je crois que, pour que les choses changent, il faut que l'enseignement change. Il y a une théologie qui n'est pas donnée dans les séminaires et dans la formation des agents pastoraux, ce qui fait que dans les homélies il n'y a pas cette connivence entre le Christ et les plus pauvres. Alors les assemblées elles ne savent pas que Jésus et les pauvres c’est lié. »
Enfin, ces mots sur ce qui l’attend après la mort : « Au ciel, on aura Dieu bien sûr, mais mon trésor, à moi, c'est de retrouver tous les amis du Quart Monde, et j'en ai pas mal. Je m’imagine que, quand je vais mourir, ils vont m'accueillir. C'est mon trésor dans le ciel. »
Frère Frédéric-Marie - Franciscain, ancien Compagnon des Chrétiens du Quart Monde :
Dans La Joie de l’Évangile, le Pape François écrit :"Je veux dire avec douleur que la pire discrimination dont souffrent les pauvres est le manque d’attention spirituelle. L’immense majorité des pauvres a une ouverture particulière à la foi. (...) L’option préférentielle pour les pauvres doit se traduire principalement par une attention religieuse privilégiée et prioritaire" (§200).
En lisant ces lignes, j'ai tout de suite pensé à Suzanne car là est le cœur de son combat : permettre à ces familles éprouvées de vivre leur foi, de la partager, leur permettre de prendre toute leur place dans la vie de l’Église.
Alors que je discernais pour m'engager ou non dans un travail de thèse autour de ce thème d'une théologie à l'écoute de la Parole des Pauvres, je lui avais partagé mes interrogations. Elle m'a répondu très fermement : « ha si, tu vas faire une thèse. Il faut faire entendre la voix des pauvres par ce chemin aussi ».
Merci Suzanne pour ce que tu nous as appris, pour ton énergie à porter la voix de ceux que nous n'écoutons que rarement et surtout de nous avoir permis de goûter, à travers elle la fraîcheur et l'actualité de l’Évangile.
Bernard Burguière - Chrétien du Quart Monde :
Sœur Suzanne, je communique avec elle, je fais comme si elle était encore là.
Elle m’écoute, c’est sûr.
Un jour, on se reverra.
Elle m’a fait beaucoup de bien, elle était juste.
Quand on était en retraite, je voyais les Sœurs passer, je me disais : tiens, elles vont à la messe.
J’ai le souvenir de Sœur Suzanne qui prie.
Corinne Batista - Famille du Quart-Monde :
Sœur Suzanne, tu nous as quittés pour aller auprès de Dieu.
Je garde de toi les bons moments avec toi comme les voyages en train pour aller à Paris où grâce à toi j'ai rencontré des personnes supers dans le groupe Place et Parole des Pauvres.
Pendant les trajets en train on a beaucoup parlé de tout et de rien. Mais surtout aux retours on a parlé de nos sentiments, du travail à faire. Tu m’as fait comprendre l’importance de témoigner. Tu m’as donné plus confiance en moi et j'ai compris l’importance des autres.
Tu as même arrivé à calmer ma voie forte et tu m’as appris à écouter les autres.
Pour Antoine mon mari tu es et tu resteras sa maman Suzanne.
Toute ma famille et bien sur les autres familles de villariès te dit un grand merci d'avoir fait que l'on soit une grande famille.
Tu seras toujours dans mon cœur comme ma petite sœur Suzanne à bientôt.
Marie-José Noguéro - Compagnon :
J'ai rencontré sœur Suzanne il y a quelques années, 4 ou 5 ans. J'avais entendu parlé des sœurs qui s'occupaient des pauvres et avaient une ferme à Villaries. J'habite le village à côté. Puis un jour, à une messe à Villaries, j'ai vu deux sœurs et j'ai compris que c'était elles. Je me suis avancée et leur ai demandé si je pouvais les aider et comment. La plus âgée - c'était sœur Suzanne - m'a dit: "Venez nous rejoindre; il y a beaucoup de travail, nous avons besoin d'aide". Et là j'ai découvert un monde d'amour et sœur Suzanne.
C'était un personnage avec un caractère bien affirmé mais aussi et surtout un cœur immense, assez immense pour contenir les joies et les peines des autres, chrétiens du quart-monde et compagnons. Elle était toujours à l'écoute, attentive, s'oubliant elle même. Même fatiguée, épuisée, elle continuait d'avancer. Sa vie, c'était les pauvres, à qui elle donnait tout son amour tout son temps. Parfois je lui disais "lève un peu le pied". Mais elle me répondait "mais non; y il a tellement de travail pour aider les pauvres, les plus pauvres à être reconnus. Je dois continuer, je dois poursuivre ma route". Quel courage, Suzanne... Je suis admirative. Quand je suis lasse, fatiguée, et que j'ai envie de baisser les bras, je pense à toi et me dis "allez, courage, il faut avancer".
Maintenant ta route sur terre s'est terminée et tu vas pouvoir enfin te reposer.
A l'annonce de ton départ, j'étais anéantie; j'ai ressenti un immense vide en moi. Mais non, il ne faut pas être triste, car toi tu es heureuse, j'en suis sûre. Tu vas enfin voir le Père; tu le désirais tellement et, de là haut, tu veilles sur nous tous, tu es notre ange gardien.
Tu peux être fière de l'oeuvre que tu nous laisses, que tu laisses aux personnes du quart-monde. Sois rassurée Suzanne, ton œuvre va continuer. Et qui sait, peut-être du ciel susciteras tu des vocations...
Je suis heureuse et fière de t'avoir rencontrée. Tu resteras à jamais dans mon cœur comme une sœur, comme un guide... MERCI
Xavier Martin - Groupe Bartimée et Place et Parole des Pauvres :
Soeur Suzanne,
Nous sommes venus à ton appel, pour te renforcer dans ta voie, que ce soit pour les riches ou pour les pauvres.
Cet appel nous a touché profondément. Tu étais d'une rare gentillesse, prudence, sincérité. Tu étais pour nous tous la ère sainte, qui savait ouvrir les yeux, les mains, les portes aux gens qui les fermaient !
Tu étais pour nous, notre guide vers la lumière de Dieu.
Tu nous as éblouis de ta tendresse, sagesse, fidélité envers nous, les compagnons de "place et parole des pauvres" dans ce monde aussi distant.
Tu vas nous manquer, très beaucoup, Suzanne, car tu étais pour nous, les Compagnons, la Graine d'une bataille qui ne peut s'interrompre comme ça.
Nous pensons et espérons te faire honneur en continuant le chemin dont tu nous a donné la clef, pour que tout ce monde égaré, soit enfin en PAIX et EGALITE - FRATERNITE.
Nous t'aimons très fort, tu nous as ouvert les yeux, à nous les Compagnons et écouté.
A bientôt
Paulette SCHMITT - Famille du Quart Monde :
Je m'appelle Paulette, je connais sœur Suzanne depuis plus de trente ans. Elle va nous manquer. Je me souviendrai toujours de tout ce qu'elle a fait pour nous. Par moment, elle était dure, mais c'était pour nous faire comprendre ce qu'elle attendait de nous : elle voulait qu'on soit ouvert, qu'on puisse exprimer ce que l'on vit, qu'on n'ait plus peur. Elle voulait nous montrer qu'il fallait foncer, qu'il fallait dire ce qu'on pensait pour changer les choses, pour trouver notre place, que l'argent ne fait pas tout.
La vie ne nous a pas fait de cadeaux, on est brisé, mais grâce à elle on avait le courage de parler et on n'avait plus peur des gens puissants. On a fait beaucoup de choses avec Sr Suzanne, des pèlerinages, des visites, des activités, Pibrac, le chemin de croix, du théâtre à Lourdes, la place et la parole des pauvres. Elle voulait que les familles restent unies, elle a évité que mes enfants soient placés. Soeur Suzanne savait s'imposer, même devant les juges et les assistantes sociales.
Ma fille Sandy a 31 ans, sœur Suzanne l'a connue bébé, elle veut ajouter ses souvenirs d'enfant et d'ado : « A Villariès on ne s'entendait pas avec sœur Suzanne, mais à cette époque on était jeunes. Il fallait qu'elle soit sacrément armée pour nous supporter, on se souvient de plein de conneries qu'on a fait à Villariès, on avait même essayé de lui cramer son voile. Elle a toujours fait en sorte que les familles ne soient pas séparées. Je me souviens à l'audience du juge, s'il n'y avait pas eu Sœur Suzanne, un camion nous attendait pour qu'on soit placés jusqu'à notre majorité. »
Nicole Vaissière - Volontaire Bonne Nouvelle, Groupe Bartimée :
Chère Suzanne, depuis que je te connais tu souhaites que des hommes et des femmes, s'engagent pleinement avec vous, dans votre mission.
Nous avons beaucoup travaillé, et le volontariat est né. Nous voulons te dire merci et dire merci à Dieu. Merci de nous avoir aider à naitre, à grandir avec tous ceux que la galère a détruit, mais qui luttent avec tant de courage pour garder leur dignité.
Tu nous as fait découvrir un raccourci tout simple pour vraiment connaitre Jésus : avancer avec les pauvres, ensemble.
Merci pour ta bienveillante patience, ta joyeuse et solide Espérance, en nous laissant toujours libre, confiante et respectueuse du plan de Dieu sur chacun de nous, écoutant pour discerner ce qui était bon pour nos familles, pour les familles du Quart Monde, pour l'Eglise.
Cela n'a pas toujours été facile, et pas de tout repos ! il a fallu nous ajuster ensemble, et aujourd'hui, nous en sommes tout simplement heureux !
Je n'oublie pas que tu n'aimes pas qu'on parle de toi, tu préfères qu'on porte notre attention vers le Père et vers les pauvres, il y a tant à aimer, à vivre et à faire !
Maintenant, tu nous es présente d'une manière nouvelle, encore plus proche de Jésus et je t'entends nous dire "allez..ensemble ! avançons !"